TIMBUKTU OU LE SABLE ÉMOUVANT

Histoire d’une chorégraphie

L’art, un échappatoire à la violence ? C’est ce que l’on retiendra de Timbuktu, dernier film d’Abderrahmane Sissako, projeté en ouverture du Festival international du film francophone de Tübingen. 

Comme son nom le laisse présumer, le film transporte le spectateur au cœur du Mali, dans la ville classée patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, et ville prise en otage par un groupe de djihadistes qui (se) cherchent, tâtonnent, parlementent afin d’imposer leurs valeurs aux habitants désœuvrés. Cette thématique, d’actualité, aurait pu plonger le film dans une atmosphère solennelle, pesante mais l’esthétique l’emporte sur la tension et crée la nuance. Là où l’interdit s’installe, la créativité prend le pas, si le football est un interdit, alors les matchs deviendront ballets, un ensemble de corps en mouvements à la poursuite d’une balle qui n’existe plus.

 

Un réalisateur qui aurait
voulu être chorégraphe ?




 

La beauté de l’horreur

La violence est tout de même bien présente, prête à surgir au détour d’une rue, d’une parole, d’un acte. Elle s’entremêle avec les différentes formes d’art affectionnées des habitants de Timbuktu. Le supplice du fouet devient chantant, la lapidation entrecoupée d’une danse contemporaine presque surréaliste. La violence en devient plus lisse, plus supportable pour le spectateur, presque esthétique. Et c’est là que le bât blesse, à trop vouloir protéger le spectateur, éviter les clichés sur le thème du djihad et suggérer l’humanité des protagonistes, Sissako nous livre une œuvre de fiction certes belle mais peut-être un peu trop linéaire, trop propre. 

Comment filme-t-on l’horreur ?



 

Une beauté fissurée

Le personnage de Zabou, marginale du village, sort le spectateur de la linéarité dans laquelle l’esthétisme visuel l’avait plongé. Inspirée d’une vraie rencontre de Sissako, Zabou déambule dans les rues du village affublée d’un coq sur son épaule. Son personnage ambivalent oscille entre celui d'une reine et celui d’une folle. C'est à son invulnérabilité qu'elle représente l'âme du village et la voie vers la liberté. Elle évolue à la frontière entre deux mondes : le village et ses habitants « prisonniers » et l’idylle du désert africain représentée par la famille de Kidane. C'est grâce à elle qu'une perspective différente s'ouvre sur les événements politiques, Zabou qui ne semble pas avoir de dieu devient le miroir de l'absurdité de la situation.

Zabou, l’âme forte de ce film ?




Même si Timbuktu est d’une beauté cinématographique incontestable, portée par des images fortes capturant les couleurs du Mali, sans le personnage de Zabou, le film resterait un peu trop manichéen et nous laisserait sur notre faim. 

Les propos d’Abderrahmane Sissako ont été recueillis lors d’un échange entre le réalisateur et son public lors du Festival international du film francophone de Tübingen le 30 octobre 2014.